Comment protéger ses proches de la captation de son héritage ?

Les personnes vulnérables, diminuées physiquement ou fragilisées intellectuellement, constituent malheureusement une proie facile pour d’autres personnes, quant à elles en bonne santé mais sans scrupules. Il est ainsi relativement fréquent de constater des attitudes ou des comportements hautement intéressés émanant de leur entourage quotidien. Cette tendance atteint le plus souvent son paroxysme dans les mois ou semaines qui précèdent son décès.

Sont directement visées celles qui n’ont pas d’héritiers ou celles dont les héritiers leur rendent rarement visite voire s’en détachent affectivement au point de s’inquiéter de leur sort lorsqu’il est déjà trop tard.

Il échappe souvent aux aidants en général, et à la famille en particulier, que notre Droit a spécialement prévu des mesures adaptées à de pareilles circonstances. Ainsi, l’article 909 du Code Civil prévoit-il depuis fort longtemps une présomption de « captation d’héritage » à l’égard de certaines catégories de professionnels ayant entouré le majeur avant son décès.

Il énonce une liste relativement étendue de personnes frappées d’une « incapacité de recevoir » :

  •  Les membres des professions médicales et de la pharmacie ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne « pendant la maladie dont elle meurt ».Cela suppose qu’ils aient délivré un véritable « traitement médical » et qu’il ne s’agisse pas d’une simple « assistance » de leur part, et implique souvent des soins réguliers et durables. Sont visés notamment les médecins (médecins traitants ou d’hôpitaux, cliniques), les infirmières (libérales ou non) et autres personnels médicaux (aides soignant etc…), les psychiatres et même les magnétiseurs.
  • Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions.
  • Les ministres du culte (prêtres et religieux). La disposition vise notamment les derniers confesseurs.

La suspicion devra ainsi porter sur « les dispositions entre vifs ou testamentaires » faites, soit au cours des soins qui précèdent le décès (les professions médicales), soit dans la période précédent ce décès de manière plus générale (les ministres du culte), soit indépendamment de la date même des actes lorsque ceux-ci sont expressément interdits par la loi (les mandataires judiciaires).

Les actes essentiellement visés par ces « dispositions » sont les donations et les testaments, mais la souscription d’un contrat d’assurance-vie conférant la qualité de bénéficiaire à l’une de ces personnes est également concernée par ce même texte.

Ce texte est relativement méconnu. Il convient pourtant de savoir que cette présomption légale de suggestion et de captation est pourtant dite « irréfragable », c’est-à-dire qu’aucune preuve n’est admissible contre elle, ainsi que le martèle la jurisprudence des tribunaux depuis le XIXème siècle.

Ces dispositions sont indépendantes de celles relatives à la protection des majeurs, et par conséquent s’y ajoutent, dans la mesure où elles relèvent du droit commun. Pour être tout à fait complet, elles s’appliquent ainsi à toute personne, vulnérable ou non, ayant pris une « disposition » tardive au profit des professionnels sus-visés.

Le Code de l’action sociale et des familles (article L.331-4) a récemment complété cette liste –faisant expressément référence à cet article du Code Civil – en visant également les personnes physiques ou morales propriétaires, administrateurs ou employés des établissements (spécialisés)hébergeant à titre gratuit ou onéreux des mineurs, des personnes âgées, des personnes handicapés ou inadaptées ou en détresse, ainsi que les bénévoles qui interviennent en leur sein et les associations auxquels ces derniers adhèrent. A la différence près, que cet autre code ne comporte pour sa part aucune référence à « la dernière maladie », et est donc plus restrictif sur ce point.

Il conviendra de s’attacher aux personnes visées par les textes, mais également à toute personne interposée parmi les proches de ces professionnels (conjoints, alliés, amis etc.…)

Toute règle supporte toutefois des exceptions :

  • Le Code Civil a expressément exclu du champ d’application de l’article 909 les dispositions faites à titre particulier eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus (« dispositions rémunératoires ») ainsi que les dispositions universelles faites en cas de parenté jusqu’au quatrième degré inclusivement en cas d’absence d’héritier en ligne directe ;
  •  La jurisprudence a notamment tenu compte des « les liens affectifs » entretenus avec le défunt lorsqu’une simple « assistance » ne relève pas d’un véritable « traitement médical ».

En dehors même de toute considération humaine – aider les autres, et notamment nos anciens, relevant avant tout d’une solidarité intergénérationnelle – nous ne pouvons évidemment qu’encourager très vivement l’entourage familial ou amical à veiller voire surveiller le plus régulièrement possible la vie financière et patrimoniale d’une personne inapte à la conduire seule.

Cela permettra d’éviter la signature de testaments ou d’autres actes juridiques engageant le patrimoine de l’aidé, surtout lorsqu’elle intervient sur son lit d’hôpital ou dans tout autre situation durant laquelle son consentement n’est pas pleinement éclairé. A cet égard, la présence d’un homme de loi sur les lieux n’est pas nécessairement le garant de la validité des actes puisqu’il peut ignorer lui-même l’état de santé précis de l’aidé ainsi que la qualité exacte du bénéficiaire.

Il convient de savoir qu’en dehors des actes entrant dans le champ d’application de cette présomption de « captation d’héritage » existent également toutes sortes d’agissements malhonnêtes également sanctionnés par d’autres dispositions.

Pour que de telles situations ne demeurent pas impunies, tout ayant-droit ou intéressé pourra ainsi se pourvoir en justice pour en obtenir la stricte application. A la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle des bénéficiaires s’ajoutera notamment l’annulation des actes consentis à ces professionnels. Les hommes de loi qui prêteront leur concours à de telles opérations engageront parallèlement leur propre responsabilité.

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